Rédigé par Jean-Claude Pommereau
Support Technique : Éric Pommereau
Papa était affecté au 31ème Régiment d'Infanterie d'Orléans, à la C.H.R (Compagnie hors Rang) comme maréchal-ferrant, son premier métier. Il avait le grade de Caporal.
(Sur le cliché Pierre est à l'extrême gauche)
Un courrier posté par une personne charitable de Venarey les Laumes (Cote d'Or), a appris à Suzanne que son mari avait été capturé et était « en bonne santé » dans un camp de prisonniers du côté de Dijon. En fait il s'agissait du camp de Longvic. (Frontstalag 155). Il aura fallu attendre presque 75 ans pour que nous puissions mettre un visage sur le nom de cette Demoiselle Fischer. Nous avons appris que cette dernière était institutrice dans un village voisin du lieu d'emprisonnement de Papa. Nous ne savons pas comment cette jeune femme a pu récupérer le courrier et le faire suivre. Nos remerciements sont arrivés malheureusement trop tard puisqu'elle est décédée il y a quelques années….
Ci dessous, une photo de Alice Fischer au milieu de ses élèves en 1940 à l'école de Baigneux (Cote d'Or). Cliché aimablement fourni par sa fille en 2014.
De fait, Pierre Pommereau a été fait prisonnier, le 17 juin, au Val Suzon (Côte d'Or), puis transféré dans le « Frontstalag » de Dijon avant son départ pour l'Allemagne. Les soldats allemands qui l'ont capturé se déplaçaient sur des side-cars avec rapidité et aisance, ce qui tranchait avec les convois hippomobiles de nos soldats. Papa se souvenait que l'un des Allemands sautant de sa moto, avait pris le casque « Adrian » d'un soldat français pour le transpercer d'un coup de baïonnette devant tout le monde, afin de démontrer la supériorité teutonne et la piètre qualité de nos équipements. Nous n'avons pas de détail particulier sur le voyage vers l'Allemagne si ce n'est que le train est passé par Colmar, fraîchement repeint en « Kolmar ».Tous les prisonniers croyaient fermement être libérés avant Noël, comme l'indique cette lettre parvenue peu après à Fontenay et dans laquelle Pierre précise la date et le lieu de sa capture.
Pierre POMMEREAU est enregistré sous le numéro 31.358 comme l'indique le «Meldung» (Registre de recensement des prisonniers). Il est déclaré en bonne santé.
1940: Camp de Hemer, puis Lemgo où il Travaille dans une scierie « Arbeits Kommando 206 », ensuite dans une fabrique de meubles. La vie au camp de Hemer était dure et le départ en Kommando a été vécu comme un soulagement.
1942 : Hagen « Arbeits Kommando 554 » : Usine Schmiedag AG
1943 : Hagen « Arbeits Kommado 2305 » : Usine Schmiedag AG. Prisonnier « transformé » en août 1943 tout en restant dans la même structure administrative (AK 2305).
A Hagen, Pierre Pommereau a été employé à l'usine Schmiedag AG comme ouvrier sur machine outil, alors que dans le civil il était artisan boulanger ! Dans cette usine étaient fabriqués, entre autres, des ponts arrière de chars et des freins de bouche de canon (souvenirs de Papa), ce qui était contraire aux dispositions de la Convention de La Haye.
Les usines de Schmiedag AG, situées à Hagen, ont été construites en 1928. Elles appartenaient alors, à l'instar de Vereinigten Stahlwerke AG, à la multinationale Hoesch, basée à Dortmund. Au cours des premières années de l'après-guerre, le gouvernement militaire des alliés a organisé le démontage partiel de certaines unités de fabrication, notamment de machines destinées à produire de l'armement . L'usine a été rebaptisée Rothe Erde-Schmiedag AG en 1968. Pendant la seconde Guerre Mondiale, les trois usines de Hagen fabriquaient en masse différents matériels d'armement. L'usine d'emboutissage Lange produisait entre autres des blindages pour chars, utilisés dans les aciéries locales Harkort & Eicken pour la production de carrosseries et de protections. L'usine Grüntal fabriquait principalement des freins de bouche de canon pour les tanks, de l'artillerie lourde ainsi que des canons anti-char. Fin 1943/début 1944, dans le cadre de la protection antiaérienne, cette activité a été partiellement transférée vers l'usine de fabrication d'aimants Kuhbier, à Hagen-Rummenohl. Schmiedag AG fabriquait en outre des étuis d'obus et également des corps de bombes de gros calibre.
(Traduction faite par Marie McGuirk-Pommereau, petite fille de Pierre, traductrice)
Trois adresses de lieu de détention ont pu être identifiées avec certitude :
A Lemgo :
(*)Aujourd'hui Laubke fait partie intégrante de Lemgo, en revanche il semblerait que le n° 309 du Sauernfeldweg n'existe plus.
A Hagen :
Une carte lettre de la fin de la guerre mentionne : Wachabschnitt (1) b (bei) Wetter (2) Ruhr. Herdeckerstraße 8. Cette mention écrite dans un coin de la carte ne correspond pas à l'écriture de papa.
Le fait d'être «transformé» lui avait fait croire, ainsi qu'à un bon nombre de ses camarades, qu'une permission prochaine leur serait accordée, comme il l'écrit dans ce courrier daté du 1er août 1943. De fait, l'octroi d'un passeport laissait à penser qu'ils pourraient circuler librement, mais ce ne fut qu'un leurre……
Seul le courrier permettait de garder un lien avec la famille et avec le Pays. Le nombre de lettres et de colis était contingenté et une réglementation drastique énumérait les choses qui étaient interdites de faire parvenir aux prisonniers.. Comme pour toute personne privée de liberté, la remise et la lecture du courrier étaient un moment capital que chacun vivait à sa façon, soit en partageant les nouvelles ou en s'isolant…..Le courrier étant soumis à la censure, papa ne pouvait qu'échanger des banalités avec la famille. Les lettres devaient être rédigées au crayon papier sur des enveloppes dédiées qui ne laissaient que peu de place à l'écriture.
Malgré tout, Papa a réussi à faire parvenir à Michel un jouet pour Noël 1943. Le Jouet, sans doute réalisé par des prisonniers, est arrivé démonté. 70 ans après, Michel (6 ans à l'époque) conserve précieusement son cadeau de Noël. Il a également reçu au moins une carte de papa.
(Ce sont des souvenirs des récits de Pierre)
Vers le milieu de la guerre, on assistait à ce paradoxe : les prisonniers, avec leurs colis, arrivaient à avoir plus de friandises, que les allemands eux mêmes. Ainsi, en quittant le dortoir le matin mon père et ses camarades laissaient ostensiblement traîner sur la table une tablette de chocolat Suchard, le lendemain une autre de la marque Meunier, puis Tobler et ainsi de suite tout au long de la semaine dans le but évident de susciter l'envie et l'amertume en touchant le moral des gardiens. Les semaines suivantes l'opération se renouvelait avec des boites de sardines ou de pâté, chaque jour de marque et de taille différentes.
Il arrivait parfois que, miraculeusement, dans un colis, l'un des PG reçoive du café. Le seul endroit ou l'on pouvait le torréfier, c'était l'usine. Le grand plaisir était de voir les Allemands renifler dans tous les sens pour localiser les précieuses graines dont ils n'avaient pas oublié l'arôme, la saveur, et le goût, bien que depuis le début de la guerre ils ne consommaient qu'une sorte d'ersatz remplaçant le café.
De temps à autres, lors de l'arrivée matinale dans l'atelier, sur un signe convenu, les « ouvriers » mettaient en route, tous en même temps leur machine outil. Le départ simultané de toutes les machines avait pour conséquence de faire disjoncter le courant. Et, le temps que la panne soit trouvée, les PG se croisaient les bras en prenant un air catastrophé à l'instar des allemands chargés de l'encadrement. Mais au bout de quelques temps, la manœuvre a été éventée et les « pannes » ont dû cesser au risque de représailles….
Sur la fin de la guerre, les bombardements alliés se sont intensifiés en nombre et en puissance, en particulier sur la Ruhr. Lors d'un violent bombardement sur Hagen et sa région, les PG s'étaient réfugiés dans un abri qui leur était dédié (Luftschutz-Bunker). A la fin de l'alerte lors de la sortie à l'air libre ils ont fait une découverte particulièrement poignante. En effet, il y avait dans une rue de nombreux corps d'enfants d'une école. Ils avaient été soufflés par une explosion. Ils se tenaient encore par la main. Les PG présents ont aidé spontanément les sauveteurs dans leur tâche macabre.
Lorsque les Italiens ont changé de camps, ils se sont retrouvés à leur tour prisonniers. A l'époque, notre père avait « fait sa place » dans un baraquement avec ses autres camarades PG. Or un jour, les Allemands ont décidé de « transférer » les Français dans un autre lieu de résidence pour y loger à leur place des Italiens. Les Français étaient très « remontés » contre les Italiens qui les avaient dépossédé malgré eux de leur cantonnement assez bien aménagé. Peu après, lors d'un raid nocturne des Alliés, le bâtiment a été détruit causant de nombreux morts parmi les transalpins.
Un camarade de Papa était surnommé par tout le monde «Thérèse».
Raymond Dalidet avait brodé sur son calot le nom de celle qui allait être sa femme plus tard , lorsque la guerre aura pris fin. Or, le jour d'un bombardement particulièrement violent, ce camarade s'est aperçu qu'il avait oublié dans la précipitation du «Fliegeralarm», le portrait de sa dulcinée dans le baraquement. Il a donc quitté l'abri, durant l'alerte, pour aller récupérer le cadre avec la photo de Thérèse qui le suivait toujours dans le « Luftschutz-Bunker ».
Ci-dessous Raymond et Thérèse Dalidet le jour de leur mariage, après la guerre
Lorsque le prisonnier n'était pas au travail, il devait occuper son temps au mieux pour ne pas trop «gamberger». Bien sûr pour tuer le temps, il y avait les parties de cartes mais pas seulement….dans le Kommando de Papa se trouvaient aussi des enseignants, ou des érudits. Ces camarades organisaient des groupes de discussion ou des sortes de conférence qui permettaient de se cultiver un peu. Ainsi, des cours d'Allemand ont été dispensés pour faciliter cette vie en Allemagne. La Messe et les matchs de foot entre prisonniers occupaient le répit du dimanche. Au cours des rencontres, lorsque le goal arrêtait un tir menaçant, les PG criaient en coeur «vive le goal, vive de Gaulle». Lors de la fête de Noël, moments particulièrement difficiles, des spectacles montés par les Prisonniers égaillaient cette période. Ainsi, des orchestres se formaient à l'instar «des Déracinés de l'Arbeitskommando 554» pour donner une animation musicale.
Ci-dessous le carnet de vocabulaire de Pierre et à droite l'orchestre «les Déracinés»
Ci-dessous les équipes de football A & B de l'Arbeitskommando 2305 (Photos aimablement communiquées par Gisèle Voiturier)
Le matin de la Libération de Hagen, Papa était, avec ses camarades, dans la cour de l'usine et, l'un des soldat-gardiens qu'il connaissait prénommé Hermann (Papa disait «Mon Boche»), est arrivé casqué, avec son fusil en bandoulière. Il marchait d'un pas pesant guidant un chariot tiré par un cheval fatigué. Il a dit à mon père en Allemand « Pierre, c'est foutu pour nous » « Aide moi à monter » (c'était un homme âgé) et joignant le geste à la parole, il a donné son fusil à papa pendant qu'il essayait de grimper difficilement sur l'attelage. Il a quitté les lieux presque à regrets espérant survivre à l'arrivée des Américains. Cette scène surréaliste de se voir tenant l'arme de son geôlier lui est resté gravé en mémoire.
Une autre chose qui a marqué notre père, et sans doute ses camarades : Peu après le départ définitif des Allemands, les fantassins américains, appuyés par des blindés, sont arrivés et repartis presque aussitôt laissant quelques soldats près de l'usine Schmiedag. Peu après, un camion magasin US est arrivé devant l'usine, et l'Américain qui le pilotait a relevé les cotés du véhicule et s'est préparé à vendre aux G.I. Les PG avaient les yeux écarquillés en voyant cette débauche de marchandises. Dans le camion se trouvaient en effet à profusion, du tabac, des stylos, du chewing-gum, du chocolat, des biscuits et aussi……des bas de femme !
Dans un temps très voisin de la libération de Hagen, dans la ville voisine de Iserlohn, la Panzerjägerabteilung 512 se rendait aux Américains. (voir vidéo)
Le retour en France qui devait s'effectuer initialement en avion, s'est déroulé en camion puis en train à travers la Belgique. Papa est toujours resté étonné et admiratif du travail des cheminots belges épaulés par du matériel américain. Le train avançait au fur et à mesure de la réparation des voies. Le train a même traversé une ville entière en Belgique sur une voie provisoire. Pierre Pommereau, après être passé par l'hôtel Lutétia à Paris comme beaucoup de prisonniers, a retrouvé sa famille à Fontenay Sous Bois le 1er mai 1945. Et ce jour là, il neigeait ! Son arrivée avait été annoncée par un télégramme.(Photo ci-dessous) Au total, papa aura passé 5 ans en Allemagne et une année en temps que soldat durant la « drôle de guerre ».
Après la guerre, il a gardé contact avec ses camarades de captivité qui venaient régulièrement à la boulangerie de Fontenay-sous-bois.
Ici Pierre et Suzanne sont en compagnie des familles Frerebeau, Fournier et Dalidet. Michel tire la langue et Jean-Claude est dans les bras de Pierre.
Par ailleurs, et c'est à souligner, il n'a jamais manifesté la moindre animosité à l'encontre des Allemands qu'il a pu croiser ça et là. Mes enfants et moi même avons des amis Allemands, pour qui il a toujours su réserver un accueil chaleureux et trouver le compliment qui allait bien.
Quelques noms de compagnons d'infortune de Pierre.