Rédigé par : Jean-Claude
Support Technique : Éric Pommereau, relecture : Marie Pommereau
En 1965, le service militaire obligatoire brassait toute la jeune population de notre pays. C'est ainsi que le 1er septembre, je me suis retrouvé au Centre de formation maritime de Hourtin, près de Bordeaux, pour faire « mes classes ».
En octobre de la même année, je quittais Hourtin pour Brest. Après un court passage sur l'escorteur d'escadre Duperré (D633), j'ai été affecté comme conducteur à l'état-major de l'escadre qui était embarquée sur l'escorteur d'escadre Surcouf (D621).
Mon travail consistait à aller chercher les officiers chez eux le matin, puis à les ramener le soir. Entre temps, j'étais à la disposition du service. Lorsque l'escadre appareillait, j'occupais les fonctions de planton au PC des transmissions et, comme le reste de l'équipage, je faisais le « quart à la mer ». Les sorties en mer étaient ponctuées d'exercices notamment des CASEX (chasse aux sous-marins) et aussi des ravitaillements à la mer (RAM). Le tout était assorti de « postes de combat » inopinés, de jour comme de nuit. Quasiment toutes les sorties en mer se faisaient dans le golfe de Gascogne, où le temps est rarement clément.
En mer, les journées commençaient à 6h30 avec le « branle-bas » joué au clairon et diffusé dans tout le bord par des haut-parleurs. Le « poste de lavage » succédait au « petit-déjeuner de l'équipage ». Les quarts de nuit se faisaient de 20h00 à 0h00, de 0h00 à 4h00 et de 4h00 à 8h00. Les repas étaient pris à la cafétéria, mais lorsque le temps était mauvais il y avait peu de candidats à se restaurer !
Ci-dessous la carte d'accès à la cafétéria. Ce document devait être présenté au fusilier chargé de vérifier que l'on ne vienne pas manger deux fois !
Je dormais au poste 1, qui se trouve donc tout à l'avant du bâtiment. Nous y étions une trentaine logés dans des banettes à trois étages. Contrairement aux autres postes, il n'y avait pas les relents de fuel, mais les effluves du magasin de cordages et de peinture situé à l’extrême avant et les odeurs de la viande qui décongelait à même le sol, au milieu des caisses de fruits ou de légumes, en attente d'un départ à la cuisine… Nous étions en toute proximité de la « cambuse », là où se trouvait entreposé le vin !
Sur le Surcouf, j'ai eu l'occasion de faire la « croisière noire » qui nous a menés aux Canaries, en Mauritanie à Port-Etienne (aujourd'hui Nouadhibou) et à Dakar, au Sénégal. Au retour, nous avons fait escale à Lisbonne puis en Espagne à El Ferrol del Caudillo et à la Corogne. Lors du retour vers Brest, une manœuvre avec diverses Marines de l'OTAN avait été planifiée, mais abrégée compte tenu de la météo épouvantable. Je me souviens que, dans le golfe de Gascogne, l'indicateur de gîte avait indiqué 35° bord sur bord, c'est-à-dire une amplitude de roulis de 70°, sans compter le tangage avec des creux de 10 à 15 mètres… Je n'étais pas fier ce jour-là, mais je n'étais pas le seul !
Une courte vidéo sur la frégate Latouche-Tréville donne un aperçu de ce que l'on peut ressentir dans le golfe de Gascogne.
Bachi du Matelot Pommereau (565 13176)
En avril 1966, l'état-major de l'escadre de l'Atlantique embarquait sur le Chevalier Paul (D626), avec à sa tête le vice-amiral d'escadre La Haye. Sur le Chevalier Paul que nous appelions affectueusement le « Popaul », j'occupais le même poste que sur le Surcouf et le même rôle en mer.
Courant avril, toute l'escadre est partie pour la « croisière blanche » qui nous a permis de faire escale à Liverpool, Cherbourg et surtout Hambourg, qui a sans doute été ma plus belle escale. En effet, nous avons été chaleureusement accueillis par les Hambourgeois, et j'y ai retrouvé une connaissance faite à Paris quelque temps plus tôt.
Cette escale était inscrite dans le cadre de la semaine française de Hambourg et à cette occasion, l'actrice Michèle Mercier (Angélique, Marquise des anges) a fait une apparition remarquée sur le Chevalier Paul. Pour l’événement, je me suis retrouvé hallebardier à la coupée du bord.
Unanimement, nous avons quitté la cité hanséatique avec plein de souvenirs et aussi des regrets…
Jusqu'à la fin de mon service militaire, en janvier 1967, j'ai effectué quelques sorties en mer pour des exercices en particulier avec des bâtiments allemands, et notamment avec la frégate Karlsruhe. La veille de l'appareillage et le retour à Brest ont donné lieu à des témoignages de Kamaraderie franco-allemande ! Le « match aller » s'étant fait chez les Allemands avec de la bière, la rencontre du retour s'est déroulée sur notre bord, avec du vin - voir ci-dessous…
En janvier 1967, j'étais rendu à la vie civile. Mais, pour autant, je n'ai pas oublié mon passage dans la Marine, dont j'ai gardé d'excellents souvenirs, même si la vie en mer n'était pas toujours facile.
Peu avant la quille, j'avais demandé au bidel s'il était possible qu'un papier me soit remis, certifiant que je n'ai pas eu d'accident de circulation durant les mois passés dans la Marine (je pensais travailler par la suite dans le milieu automobile). Sur le point de quitter Brest, je me suis vu remettre une lettre signée de la main du vice-amiral La Haye, complimentant mon travail et mon comportement… Ce certificat fut un véritable sésame lorsque je suis entré dans la Police.
La vie de 320 individus dans un espace aussi restreint qu'un bâtiment de guerre crée des liens et forge le caractère dans le respect des autres. Et quelquefois, il est des gestes que l'on ne rencontre que très rarement.
Ainsi, à Brest, étant chauffeur, j'avais entre autres missions celle de porter les messages « urgents et confidentiels » au domicile des officiers, de jour comme de nuit. Nous avions un officier supérieur qui, à chaque fois que nous venions de nuit pour le service, nous faisait asseoir dans son salon et demandait à son épouse de nous préparer un café… Ce sont des choses que l'on n'oublie pas.
Egalement, lors de notre arrivée à Hambourg, je comptais sur un mandat de mes parents pour pouvoir aller visiter la ville. Or, de mandat il n'y eut point… Un enseigne de vaisseau du bord me croisant, me demanda pourquoi je n'étais pas « à terre » avec les autres. Surpris par mon explication, il m'a tendu un billet de 100 francs (une fortune pour moi !) en me disant : « Allez vite vous présenter comme permissionnaire ». Ce geste me reste en mémoire.
Pour aller à terre, on pouvait toujours compter sur un camarade pour nous prêter un col bleu ou un rayé propre, la tenue impeccable étant le sésame pour passer l'inspection des permissionnaires. Si la tenue n'était pas du goût de l'officier de quart, nous devions retourner rapidement dans le poste ou attendre l'appel suivant. Bien entendu, la coupe de cheveux faisait aussi partie des critères de sortie.
Les quarts de nuit étaient très éprouvants, surtout après une escale bien arrosée. Lorsque l'on devait aller réveiller la relève, c'était à la lueur de la faible lumière rouge qui indiquait la nuit dans les coursives. Lorsque l'heure arrivait, pénétrer dans la demi-obscurité dans un poste de 60 matelots devenait une mission difficile compte tenu des mouvements du bâtiment, des odeurs de fuel, des occupants (60 sous-vêtements - 120 chaussettes ainsi que des repas mal digérés qui tapissaient le sol…) et de la crainte de ne pas réveiller la bonne personne et de se faire envoyer « aux pelotes »…
Plus amusant :
Le Surcouf étant navire amiral, les cocktails diplomatiques étaient organisés à bord, sur la plage arrière. Lors d'une escale à Dakar, nous étions « à couple » avec un autre escorteur. L'un des matelots mécanos de permanence sur ce bateau, préférant regarder les invitées court-vêtues qui déambulaient sur notre bord, a négligé son travail qui consistait à surveiller les manomètres et la pression d'une chaudière. En pleine réception, une explosion s'est fait entendre sur le bâtiment voisin et un nuage de suie s'est abattu sur une partie des convives majoritairement habillés en blanc ! Le « coupable » a prestement regagné son unité en toute discrétion et l'incident en est resté là… du moins je le crois.
Et encore…
Lors d'un retour vers Brest, nous avons fait escale en Espagne dans le port d'El Ferrol. J'étais sur le pont lorsqu'un marin espagnol m'a interpellé pour me demander la permission de monter à bord. Il parlait un français impeccable et devant mon étonnement, il m'a précisé vivre en France depuis toujours, mais obligé de venir faire son service militaire dans son pays. Cette conversation amicale nous a permis de nous rendre compte que nous connaissions la même ville : Pithiviers (Loiret). Lui pour y résider, moi pour y passer mes vacances. Comme je remontais à Brest et que s'en suivait une permission, j'acceptais volontiers une lettre et un paquet pour ses parents. 3 jours plus tard, je sonnais à la porte de la famille. Ses parents voyant un marin en uniforme se sont soudainement inquiétés, mais le courrier de leur fils les a mis dans une joie indescriptible et ça m'a beaucoup ému.
Une autre anecdote qui mérite d'être rapportée :
Comme dit plus haut, j'étais chauffeur à l'état-major de l'escadre de l'Atlantique (EM ESCLANT). Or, une de mes missions consistait à reconduire les officiers supérieurs à domicile en fin d'après-midi. Parmi eux se trouvait le capitaine de vaisseau Jean-René Lannuzel, chef de l'état-major (*) . Il affectionnait particulièrement de conduire et me demandait toujours s'il pouvait prendre le volant. C'est ainsi qu'il nous conduisait, trois de ses officiers et moi-même à travers les rues de Brest. J'étais installé dans une 403 noire, sur la banquette arrière, coincé entre deux capitaines de vaisseau. Au fur et à mesure, il déposait ses collègues comme le ferait un taxi. Tant et si bien qu'après le dernier, je me retrouvais seul à l'arrière. Or, un jour, arrêtés à un feu rouge de la rue de Siam, je riais tout seul en voyant la tête éberluée des automobilistes, à l'arrêt à côté de nous. L’œil dans le rétroviseur, il me demanda : « Pourquoi riez-vous ? » Et moi de lui répondre : « les Brestois ne sont pas habitués à voir un matelot sans spécialité conduit par un cinq galons ! » Ma réponse lui a plu et il est parti dans un éclat de rire.
(*) Jean-René Lannuzel a terminé sa carrière comme chef d'état-major de la Marine nationale (1976-1982).
Avant de revenir au présent, je vous invite à visionner cette vidéo tournée dans une période proche de mon passage sur les bateaux gris. Elle reflète assez bien ce que j'ai pu connaître, depuis le quai des flottilles de Brest sous le crachin, jusqu'à l'ambiance du bord. Il ne manque que les odeurs de fuel ! Bien entendu, cette vie était bien différente de celle de nos cadets sur l'actuel Chevalier Paul…
Tous ces souvenirs font que je retrouve avec plaisir, plaisir largement partagé, les anciens du Chevalier Paul. Nous avons tous beaucoup de nostalgie pour notre passage dans la « Royale », et en particulier pour notre vie à bord du Chevalier Paul. Nous nous réunissons autant qu'il nous est permis. Cet attrait pour notre ancien bâtiment et les souvenirs qui s'y rapportent étonnent toujours nos jeunes successeurs, d'autant que la plupart d'entre nous étions « appelés ».
En 2008 à Lorient sur la nouvelle frégate (troisième du nom - D621), puis en 2012 à Nantes, nous avons remis avec beaucoup d'émotion la fourragère du Chevalier Paul aux nouveaux embarqués. Cette distinction est en rapport direct avec la conduite de l'équipage du contre-torpilleur Chevalier Paul (premier du nom) qui s'illustra au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il fut en effet torpillé le 16 juin 1941 au large de la Syrie, causant la disparition de 6 hommes.
1re remise de fourragères faite à terre à Lorient en 2008, le Chevalier Paul étant encore en cours d'armement. Cette première participation m'a ramené une quarantaine d'années en arrière avec une montée d'émotions… Pour conclure cette cérémonie, un repas sous tente a été offert par le bord. A cette occasion, une photo de tous les présents a été prise.
Puis, la frégate est partie pour plusieurs missions extérieures quittant, en outre, Brest pour Toulon. Les anciens ont continué à fréquenter le bord, à l'occasion de remises de fourragère, ou encore lors de visites des familles. Malheureusement, je n'ai jamais pu me libérer depuis 2008 pour témoigner mon affection au bâtiment et à son équipage. En juin 2015, à l'initiative du Pacha, les anciens étaient invités pour « la sortie des familles ». C'est ainsi que Nadine et moi avons mis fin à une grande frustration en découvrant Toulon et l'arsenal abritant le Chevalier Paul. Nous avons passé une journée extraordinaire à bord, qui nous a permis de faire connaissance, au cours d'une sortie en mer, avec un équipage ultra-professionnel et une frégate pleinement opérationnelle. La « Royale » a bien changé depuis 1965… Par la suite, les remises de fourragère se sont succédées les unes aux autres, et nous avons même été invités à une passation de commandement.